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Licence de Gilead sur les médicaments VHC sofosbuvir et ledipasvir : un marché de dupes !

Mythes et Réalités

Le 14 septembre 2014, Gilead a annoncé avoir signé un accord de licence volontaire avec sept fabricants de médicaments indiens. [1]. L’accord permettra à ces entreprises de produire et de vendre des versions génériques d’antiviraux à action directe (AAD) de Gilead contre le virus de l’hépatite C (VHC), le sofosbuvir (Sovaldi ©) et le ledipasvir [2], dans 91 pays. [3] Mais la licence de Gilead exclut les pays où vivent pourtant 73 millions de personnes infectées par le VHC, les empêchant d’accéder à un traitement générique plus abordable. Ainsi, l’accord de licence de Gilead laisse de côté 46% des personnes dans le monde qui ont besoin d’un traitement VHC.

"Il est important d’avoir conscience que les licences de Gilead sont un loup déguisé en agneau. Elles vont entraver l’accès à un traitement de millions de personnes qui ont un besoin urgent de traitement du VHC, et nuire à l’ensemble de l’industrie générique."
Tracy Swan, Hepatitis/HIV Project Director à Treatment Action Group à New York.

On estime à 185 millions le nombre de personnes infectées par le VHC dans le monde [4]. Chaque année, près de 500 000 d’entre elles meurent de complications liées au VHC, comme le cancer du foie et l’insuffisance hépatique [5]. Mais l’hépatite C peut être guérie, ce qui réduit considérablement le risque de maladies liées au foie et de décès. Dans les essais cliniques sur le sofosbuvir et le ledipasvir, la combinaison des deux médicaments a montré des taux élevés de guérison, amélioré l’innocuité et la tolérabilité en comparaison du précédant standard de prise en charge.

Gilead n’a de cesse de clamer que leur priorité est de « faciliter l’accès à ses médicaments pour les personnes susceptibles d’en bénéficier, quel que soit l’endroit où ils vivent ou quel que soit leurs moyens économiques," [6] mais leur licence VHC crée en fait une barrière à l’accès universel en excluant de nombreux pays à revenu intermédiaire (PRI) et les pays à revenu élevé (PRE), en contrôlant la concurrence par les génériques et en segmentant les marchés. Même dans les pays où un générique de sofosbuvir peut être vendu, si Gilead n’enregistre pas son médicament et n’obtient pas l’approbation réglementaire pour ce marché, le médicament ne peut pas être rendu disponible dans le pays. Par conséquent, la licence ne garantit pas l’accès aux médicaments, même dans les pays inclus dans le champ d’application géographique de la licence.

Mythe : Gilead s’assure que toutes les personnes ayant besoin du sofosbuvir à un prix accessible pourront en bénéficier.

Réalité : cette licence laisse de côté près de 73 millions de personnes infectées par le VHC, elles devront payer les prix élevés fixés par Gilead.

  • Les PRI et PRE comme la Chine, le Brésil, la Russie, les Etats-Unis, la Thaïlande, la Turquie, le Mexique, l’Ukraine et la Géorgie connaissent les taux les plus élevés de prévalence du VHC dans le monde. Ces pays et les autres PRI et PRE représentent près de 73 millions de personnes infectées par le VHC – mais Gilead ne les a pas inclus dans ses accords de licence car Gilead les considère comme des marchés "commerciaux" à but lucratif. Voir la liste des pays exclus de la licence volontaire de Gilead
  • Près des trois quarts des pauvres dans le monde, qui paient en grande partie leurs soins de santé de leur poche, vivent dans les PRI. Des millions de personnes qui ont besoin de traitement VHC n’auront pas accès à des versions génériques des médicaments VHC de Gilead, alors que ces génériques seront plus abordables que les prix obtenus après négociations directes de leurs gouvernements avec Gilead.
  • Bien que les PRE et PRI représentent 88% de l’épidémie mondiale du VHC, la licence de Gilead couvre principalement les pays à faible revenu (PFR) en Afrique sub-saharienne, en Asie du Sud et du Sud-Est et les pays insulaires, dont beaucoup ont peu ou pas de données sur la prévalence du VHC ou les besoins en traitement.

Mythe : Gilead conclut des accords avec les producteurs de médicaments génériques qui permettront d’accroître l’accès au sofosbuvir dans les pays à revenu faible et intermédiaire.

Réalité : Gilead verrouille les accords avec les producteurs de générique afin de contrôler – et de limiter – le nombre de pays où le sofosbuvir peut être vendu.

Gilead, en incluant certains pays dans la licence volontaire, déploie une stratégie visant à :

  • Empêcher toute concurrence avec les producteurs de génériques hors-licence : En réalité, la licence de Gilead va entraver la vente des principes pharmaceutiques actifs (API) - utilisés comme matières premières pour la production locale - aux producteurs qui ne sont pas partenaires de Gilead, même dans les pays inclus dans la licence. "C’est une terrible nouvelle pour les pays qui ont la capacité de produire leurs propres médicaments", a déclaré Ottomane Mellouk, coordonnateur du plaidoyer régional d’ITPC au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (MENA), "Dans des pays comme l’Egypte où 20 millions de personnes sont infectées par le VHC, les gouvernements ne seront pas en mesure de garantir un traitement pour tous, même avec le prix réduit prévu par Gilead. Le pays a commencé à travailler récemment sur la production locale de sofosbuvir pour assurer la pérennité du traitement. A présent, avec cette licence, les producteurs locaux ne seront plus en mesure d’acheter les principes actifs auprès des fournisseurs indiens. L’Egypte devra désormais dépendre entièrement des producteurs de génériques sélectionnés par Gilead - ce qui revient essentiellement à remplacer un monopole par un autre. Bien que ce pays soit couvert par la licence et que le brevet sur sofosbuvir ne soit pas accordé, la concurrence générique libre et équitable n’est tout simplement plus possible, grâce à l’initiative de Gilead.." Lire le communiqué de presse d’ITPC
  • Bloquer la vente de sofosbuvir en dehors des territoires de la licence, en dépit des oppositions aux brevets déposés. Les défenseurs des patients et les producteurs de génériques ont déposé de multiples oppositions au brevet du sofosbuvir en Inde, mais la licence de Gilead sape leur impact. Même si les tribunaux indiens rejettent son brevet clé, en réalité, les producteurs sous licence en Inde ne vont pas vendre ou exporter le sofosbuvir aux territoires hors-licence.
  • Contrôler le marché, y compris là où il n’y a pas de brevet : la licence de Gilead permet à sept entreprises pharmaceutiques indiennes de commercialiser des versions génériques de sofosbuvir et de ledipasvir dans les 91 territoires couverts par la licence. Pourtant, dans la plupart des pays inclus - en particulier les pays à faible revenu—les médicaments de Gilead ne sont pas protégés par des brevets. Cela signifie qu’un pays pourrait techniquement acheter les médicaments à partir de n’importe quelle source disponible.

Pour les pays exclus de la licence

  • Les sept producteurs de génériques indiens qui ont signé la licence de Gilead sur les 91 pays représentent la plupart des producteurs de médicaments génériques en mesure de rivaliser avec Gilead. (Lire la lettre adressée à Cipla signée par 49 organisations de la société civile). Pourtant, ils ont accepté une licence très restrictive qui les empêche de vendre du sofosbuvir et du ledipasvir, même dans les pays où :
    • Aucun brevet n’a été déposé ou accordé
    • Un brevet est en cours d’examen
    • Des oppositions aux brevets et des invalidations de brevets ont été couronnés de succès
  • Par exemple, les gouvernements du Brésil (2,6 millions de personnes infectées par le VHC), de la Thaïlande (1,5 million de personnes infectées par le VHC) et du Maroc (625 000 personnes infectées par le VHC) ne peuvent pas acheter le sofosbuvir générique qui sera produit en Inde par les sept compagnies sous licence Gilead - bien qu’il n’y ait encore aucun brevet sur le sofosbuvir accordé dans ces pays. Ces pays, tout comme d’autres pays avec d’importantes épidémies de VHC, sont victimes du monopole de Gilead et les AAD seront inabordables pour la majorité des personnes atteintes du VHC dans ces pays.

Mythe : Selon Gilead, leur prix réduit de 900 USD est juste.

Réalité : La même quantité de sofosbuvir peut être produite – avec une marge – pour 101 USD.

Gilead a fixé le prix du sofosbuvir à 84 000 USD pour un traitement de 12 semaines (1 000 dollars par comprimé). Il doit être utilisé avec d’autres médicaments – et certaines personnes peuvent nécessiter un traitement de 24 semaines – ce qui rend ce traitement du VHC encore plus cher. Gilead demande 900 USD pour 12 semaines de sofosbuvir dans certains pays à faible revenu. Mais le sofosbuvir peut être produit en masse et de façon rentable pour 101 USD. Le ledipasvir, l’un des AAD utilisés avec le sofosbuvir pour traiter le génotype 1, pourrait être produit en masse pour seulement 93 USD.

Le sofosbuvir peut également être utilisé avec d’autres AAD du VHC autre que ceux de Gilead, comme le daclatasvir (de Bristol-Myers Squibb) - qui peut être produit en masse pour 20 USD. [7]

Fixation du prix du sofosbuvir dans les pays à revenu élevé

  • Le prix étonnamment élevé du sofosbuvir - 84 000 USD pour 12 semaines de traitement aux États-Unis ; actuellement 56 000 euros en France (71,300 USD), représente une barrière à l’accès au traitement. Le prix du sofosbuvir a suscité des débats sur la viabilité. Dans les PRI, ce prix a conduit à un rationnement des traitements et l’exclusion des populations clés : dans de nombreux endroits, l’accès au traitement est limité à ceux qui sont à un stade avancé de la maladie ou le traitement est refusé aux personnes usagères de drogues ou consommant de l’alcool. Bien que le manque d’accès à du matériel d’injection stérile ait causé des millions d’infections par le VHC chez les personnes qui s’injectent des drogues, le traitement du VHC est injustement refusé à cette population à haute prévalence. Des études montrent que les personnes qui s’injectent des drogues ont pourtant des taux d’observance au traitement, de réponse et de guérison similaires aux non-usagers. [8] [9]. Refuser le traitement à certains groupes en se basant sur des préjugés ne devrait jamais être toléré quelle que soit la maladie.
  • Début 2014, le premier rapport d’experts sur l’hépatite C en France a été publié et recommande la mise sous traitement AAD pour les personnes ayant une hépatite C chronique en stade de fibrose ≥ F2 (127 700 personnes en France). Traiter toutes ces personnes avec un traitement à base de sofosbuvir coûterait plus que le budget total 2014 de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris – pour le sofosbuvir seul. Et récemment, la Haute Autorité de Santé (HAS) – une autorité publique indépendante – a modifié ces recommandations en approuvant la priorisation des personnes étant en stade plus avancé de maladie du foie stade ≥ F3. Pour éviter ce rationnement, un collectif d’organisations de la société civile française a demandé au gouvernement d’émettre une licence obligatoire afin d’obtenir du sofosbuvir générique abordable. Lire le communiqué de presse.

  • Aux États-Unis, un panel d’experts a recommandé la priorisation des traitements pour les personnes atteintes de maladies du foie avancées et celles ayant des manifestations extra-hépatiques graves. Malheureusement, les payeurs publics et privés ont utilisé cela comme justification pour refuser de traiter les gens, sans preuve médicale à l’appui pour justifier leurs critères de sélection.

Quel sera le prix du sofosbuvir dans les pays à revenu intermédiaire exclus de la licence ?

  • Le prix du Sofosbuvir sera probablement nettement au-dessus du prix de 900 USD accordé à l’Egypte, en particulier dans le secteur privé (où les assureurs ou les employeurs doivent payer pour le traitement).
  • I-MAK a analysé les implications en termes de coût des licences sur le médicament contre l’Hépatite C sofosbuvir annoncées par Gilead Sciences. Le rapport de 3 pages est disponible ici.
  • En Thaïlande, 1,5 million de personnes ont le VHC (2,2% de la population totale). Pourtant, la Thaïlande a été exclue de la licence de Gilead. Le système de soins de santé universel du gouvernement thaïlandais couvre le coût du traitement du VHC, mais la décision de Gilead d’exclure la Thaïlande signifie que le gouvernement doit payer au moins 121 milliards de dollars pour le sofosbuvir – au lieu d’1,3 milliard (prix estimé de la version générique sous licence). Ce prix est environ 15 fois plus élevé que l’intégralité du budget annuel de la santé thaïlandais en 2014 (8,4 milliards de dollars US). Lire le communiqué de presse de la société civile thaïlandaise.
  • Au Brésil, en raison de la demande de brevet de Gilead qui est en cours, le gouvernement a opté pour négocier les prix uniquement avec Gilead. Bien qu’il n’y ait pas d’information officielle, les experts locaux s’attendent à ce que le prix pour 12 semaines de sofosbuvir soit d’environ 7 000 dollars au Brésil. C’est 52 fois plus cher que la version générique, et cela ajoute au moins 1 milliard de dollars au coût du traitement de toutes les personnes atteintes du VHC au Brésil. Lire le communiqué de presse de la société civile brésilienne.
  • Au Maroc, l’accès au traitement pour les 625 000 personnes infectées par le VHC semble sérieusement compromis, parce que le pays est exclu de la licence de Gilead. Au Maroc, le coût du traitement n’est pas pris en charge par le système de santé, et la plupart des personnes atteintes du VHC n’ont pas les moyens de payer ces traitements de leur poche. L’exclusion du Maroc de la licence de Gilead coûtera au gouvernement marocain au moins 790 millions de dollars US pour traiter sa population Lire le communiqué de presse d’ITPC-Mena.

Prix pour les pays à revenu intermédiaire inclus dans la licence

  • L’inclusion dans la licence de Gilead ne signifie pas accès universel ; dans les territoires inclus, le sofosbuvir sera toujours à un prix bien au-dessus du coût actuel de fabrication du médicament avec une marge. En outre, Gilead recevra des royalties particulièrement élevés de 7% sur toutes les ventes des versions génériques.
  • Gilead a annoncé un prix de vente de 300 USD pour un mois de sofosbuvir en Inde. Pourtant, les génotypes du VHC 1 et 3, (les plus communs en Inde), nécessitent six mois de traitement, ce qui porte le coût à 1 800 USD sans compter les autres médicaments qui doivent être utilisés en combinaison avec le sofosbuvir.
  • L’Egypte est le seul pays à revenu intermédiaire avec qui Gilead a conclu un accord sur le prix du sofosbuvir. Le gouvernement égyptien l’achète pour 900 USD (pour un traitement de 12 semaines) pour être utilisé dans le secteur public, en sachant que Gilead peut plafonner le nombre de traitements qu’il vend à l’Egypte (où plus de 11 millions de personnes ont le VHC). Traiter le VHC de génotype 4, la souche prédominante en Egypte, nécessite 24 semaines de sofosbuvir (1800 USD), plus un autre médicament. Pour leur traitement contre le VHC, tous les Egyptiens qui ne seront pas inclus dans le programme national doivent payer de leur poche pour les médicaments vendus sur le marché privé. Le prix du sofosbuvir sera près de 6 fois plus cher (9.000 - 10 800 USD) que le prix gouvernemental ; étant donné que le revenu national brut de l’Egypte par habitant est d’un peu plus de 260 dollars par mois [10], le prix pratiqué dans le secteur privé est prohibitif pour la plupart des Egyptiens.

Conclusion

  • Comme l’épidémie de VIH l’a démontré, la concurrence sans restriction par les génériques améliore l’accès aux médicaments essentiels de façon plus efficace que les approches conduites par l’industrie telles que les licences volontaires ou les prix différenciés (lorsqu’une compagnie pratique des prix plus élevés dans certains pays). Des années 2000 jusqu’à 2010, la concurrence par les génériques a permis une réduction du prix des médicaments essentiels contre le VIH/sida de 90 pour cent en une décennie.
  • La licence de Gilead est un marché de dupes qui restreint l’accès au traitement pour près de la moitié de la population mondiale infectées par le VHC. Alors qu’ils limitent l’accès à des médicaments vitaux, Gilead récolte un bénéfice indu dans des pays pauvres qui ont désespérément besoin de ces médicaments essentiels.
  • On ne sait pas quand les personnes infectées par le VHC vivant dans les pays inclus dans la licence Gilead vont effectivement bénéficier d’un traitement ; dans bien des endroits, il faudra au moins 2 ans pour que les génériques du sofosbuvir soient disponibles.
  • La licence de Gilead porte atteinte aux droits qu’ont les pays en vertu du droit international (aussi appelées flexibilités ADPIC) d’utiliser des mesures de santé publique telles que les licences obligatoires ou la définition de leurs propres critères de brevetabilité.
  • L’enregistrement du sofosbuvir – l’approbation de chaque médicament par chaque autorité de régulation nationale est un processus incontournable. Mais dans la plupart des pays - y compris pour la région d’Europe centrale / Asie orientale où le VHC est endémique - Gilead n’a pas diffusé son plan ou son calendrier pour l’enregistrement du sofosbuvir. (Lire la lettre ouverte à Gilead de l’EECA CAB). Cela reste un obstacle à l’accès au traitement pour la plupart des pays.

Prochaines étapes

Manifestation silencieuse organisée par le Delhi Network of Positive People (DNP+) et l’Indian Drug User Forum (IDUF) pendant la conférence de presse de Gilead du 14 septembre

  • Les gouvernements doivent prendre toutes les mesures disponibles en vertu des règles du commerce international et des lois nationales sur les brevets pour sécuriser l’accès à des versions génériques à bas prix de médicaments anti-VHC.
  • Les gouvernements et les militants de l’accès au traitement doivent identifier les fabricants de génériques indiens désireux de produire du sofosbuvir et de le vendre aux pays en dehors des territoires de licence de Gilead.
  • Les militants de l’accès au traitement doivent continuer à tenir Gilead et les autres producteurs d’AAD pour responsables de l’entrave à l’accès aux médicaments vitaux contre le VHC.